lundi 20 avril 2009

Crise curative

Semble-t-il qu’il a tué une femme par mépris. Les journaux relatent ses mots, noir sur blanc. Il méprise les personnalités politiques et l’argent. Il l’a tué parce qu’elle était riche. On nous balance ça à la une des journaux par souci de transparence dans une affaire de meurtre dont la victime était l’attachée politique d’un ministre. J’apprends que le mépris est mortel.

Le cancer te surveille, fait fuir ton avenir et se rapproche à la vitesse des années ; quand ce n’est pas le diabète qui se pointe le nez c’est l’alcool qui sabote ton foie ou déroute ton véhicule de sa trajectoire. L’hypertension, l’hypoglycémie, l’obésité, la dépression… Ajoute à ça le sida, si jamais ta tête était ailleurs quand ton cul était au volant de ta vie. Gare aux femmes ! Où que tu sois, le danger te guette en plus de l’ostéoporose qui frappe à l’os dans le détour. Et si, par-dessus le marché, tu as eu le malheur d’avoir fait bonne fortune, tu risques une autre maladie mortelle au banc des accusés. Peut-être l’apprends-tu en même temps que moi !

Petite vie ! Tu fais ton petit train-train quotidien. Tu ne fais pas de mal à personne. Tu abuses de la luzerne et des pois chiches. Et bang ! La descente aux enfers. Tu apprends que tu as été adopté, que ton mari te trompe avec ta meilleure amie, que ton patron veut ta peau en échange d’une augmentation, que ton placement bancaire dégringole à cause d’un plus riche que toi qui est maintenant à la rue. L’univers entier est en crise. Tous le disent, l’écrivent… je ne t’apprends rien…. Du moins je l’espère !

On dit que c’est le champ magnétique terrestre qui s’affole. Les pôles s’inversent au rythme des humeurs. La couche d’ozone fait fuir les ions négatifs.

Les médiums et les diseuses de bonne aventure ne chôment pas beaucoup ces temps-ci. Tout le monde cherche à comprendre sa part de malheur, ses peurs et ses angoisses dans un univers à la dérive. Où donner de la tête ? La menace vient de partout. À croire que c’est un crime organisé pour nourrir l’immobilisme planétaire. Ne sors pas ; ne bouge pas et attend que la tempête passe. Encore chanceux si tu ne t’es pas immobilisé sur un fauteuil chinois confectionné par le travailleur que tu t’es payé dans les années 60 à coup de cinq cents. Il te retourne la monnaie de ta pièce dans un gratteux glissé sous les coussins.

En attendant, qu’est-ce que je fais de mes rêves qui crient à tue-tête. Je ne parle pas du rêve américain ou de mon billet de 6/49. Je te parle de mes rêves d’enfance, des rêves qu’on dépose sous l’oreiller pour les confier à Dieu pour qu’il en prenne soin pendant le sommeil. Les rêves qu’on porte dans son baluchon de la garderie à la polyvalente et même jusqu’à l’université, ce haut lieu où l’on veut bien encore changer ce monde en un monde meilleur, ici-bas, pour tous. Et bien qu’en faites-vous, mesdames et messieurs, de mes rêves et de tous les rêves qui sont apparemment accrochés au pôle de douche sous une pluie infernale de dépressions plus économiques les unes que les autres ?

Il ne faudrait surtout pas compter sur la gente politique pour les prendre en charge. Elle tente désespérément de surnager dans le tsunami médiatique des fraudes, des impasses, des rêves qui se cassent la gueule à coups de millions. Je ne les trouve pas très fiables ces gens-là. Je ne leur prêterais pas mon argent pour qu’ils en fassent la gestion. Je préfère m’occuper de mon portefeuille moi-même et voir à dépenser comme bon me semble, mes minces économies, réalisées sur mon propre dos. Et outre ma petite monnaie, ce n’est pas dans ma tirelire que j’ai camouflé mes rêves. Ni Dieu, ni moi, ne les avons omis sur une quelconque tablette à côté d’un dossier crasseux du meurtre d’un Noir par un policier encore anonyme.

Non. Mes rêves sont toujours vivants. On dirait même que la frayeur générale vient leur donner vie et envie ; celle de reprendre le volant de ma vie et de m’accorder le droit à cette liberté de rêver, éveillée. Vous direz qu’il s’agit d’une coïncidence, que la crise mondiale correspond à mon célèbre anniversaire et que c’est la crise de la cinquantaine qui tire sur la carotte pour la manger avant la fin du repas. Je sais. C’est le moment tout choisi, pour moi. Toute cette effervescence à la baisse me remonte le moral. Des millions à perdre, je n’en ai point. Mais comment évaluer, monétairement, la valeur d’un rêve en gestation. Nul actuaire ne saurait se prononcer. Je suis passablement plus riche que quiconque avec ma banque de rêves bénis par le Seigneur lui-même pendant le chiffre de nuit. Je ne me prends pas pour une brebis perdue qui revient de Compostelle. Bien au contraire, cinquante ans à se chercher engendrent inévitablement des retrouvailles intenses avec soi-même, à en rendre jalouse Claire Lamarche.

Combien d’entre nous peuvent brandir une liste de rêves bien haut et bien fort, sans avoir peur de se la faire usurper pour un quelconque montant d’argent qui ne vaut plus rien maintenant ? Nous en avons tous un ou deux et peut-être même trois de ces rêves : si j’avais de l’argent… si je gagnais à la 6/49…. si j’étais millionnaire… Et le Banquier tant convoité dresse la liste de ses postulants dans la masse médiatisée et rêveuse de s’offrir le meilleur selon le Magazine People. Simplicité volontaire oblige, il y a peu d’élu sur le plateau.

Mais puisque je pose « la » question, voulez-vous entendre « ma » réponse ? J’ai plus de 108 rêves réalisables à réaliser. Des rêves qui traînaient dans les coins de tiroirs depuis longtemps. Des désirs inattendus et des projets laissés pour contre parce qu’il y avait la vie devant soi. Surprise ! Quand je prends un galon à mesurer et que j’y repère mon cinquante ferme, je constate qu’une bonne partie de ma vie s’étale de tout son long derrière moi. Le temps presse et je n’emporterai pas en terre quelques babioles que ce soit. C’est pourquoi je clame haut et fort que c’est chaque matin, à mon réveil, que je plonge dans mes rêves ; ceux que je porte dans un baluchon trop pesant maintenant et qui tentent de me précéder, marchant droit devant moi, dans l’insistance de se réaliser.

Toutefois, qu’on soit riche ou pas, le cercueil ne partira pas les poches pleines, ni d’argent, ni de rêves. Les déboires de l’occident bien nanti appellent au secours les capteurs de rêves qui se résilient à se mettre en action. Vivre et créer en temps de crise. La crise curative, voici un bon titre à inscrire noir sur blanc à la une de mon quotidien préféré. Et si la crise actuelle s’avérait curative et qu’un verre à moitié vide devenait soudainement « plein » par les yeux de celui qui regardent et qui crée sa propre réalité, relative, me direz-vous. Et bien, nous y voilà. La relativité d’Einstein nous sauvera par le choix exceptionnel que nous possédons, tous, celui d’une perception relative de notre propre existence. Laurent Paquin lui-même affirme que tout est relatif et il ne nous apprend rien en riant un peu de nous. La perte et le gain sont relatifs à chacun.

Devant toutes les menaces qui pèsent actuellement sur les enfants du capitalisme, je vous surprendrai peut-être en vous révélant que la plus destructrice des menaces est le mépris que nous entretenons envers nos propres rêves, par l’ignorance et l’indifférence à leur égard. Tuer sa propre créativité est la maladie auto-immune la plus mortelle que nos sociétés tolèrent silencieusement et insidieusement. L’insistante attention portée sur l’argent, les gains et les pertes des riches et des pauvres, nous détourne de l’œuf d’or que nous portons tous : une vision, une mission, un rêve, un projet, une réalisation qui, inévitablement, impliquent le tissu collectif et risque une saine contamination par la force de son antidote : la joie inhérente à toute réalisation.

Dans ces temps de grandes bascules où les repères changent d’identité, nos rêves méritent un regard bienveillant et une considération sincère dans l’espoir d’une réalisation prochaine. Le rêve donne vie à la matière grise, il entretient la foi et la joie, denrées rares dans un monde à la dérive et qui sont les fondations solides de la créativité.